Vous semblez désarçonnés, désorientés, lorsque vous entendez un imparfait du subjonctif sortir de quelque docte bouche. C’est comme si, soudain, le français, pour vous, n’était plus le français, mais une sorte de langue étrangère. Vous découvrez des sons nouveaux et l’on voit se dessiner sur vos visages des grimaces de dégoût, comme si l’on vous faisait goûter à quelque fruit amer.
C’est un mode que vous jugez bizarre, compliqué et dissonant. En général, vous en ignorez complètement l’usage. Vous savez qu’il existe ; mais vous le jugez superfétatoire. Vous l’ignorez superbement.
Allons ! L’imparfait du subjonctif est l’une des beautés cachées de notre langue.
Apprivoisons-le.
Il peut vous réserver de grandes joies. L’imparfait du subjonctif est un hurluberlu, un extravagant, un excentrique de la langue française. Laissez-le sortir ! Laissez-le traverser notre platitude et dérider nos banalités.
Mais sans doute avez-vous peur de ce que vous ne connaissez pas.
Vous avez tort.
Faites un effort... C’est facile.
Quand employer le subjonctif ?
Petit rappel :
1)Derrière un certain nombre de locutions conjonctives : avant que, jusqu’à ce que, bien que, quoique, encore que, à la condition que , pourvu que, pour peu que, à supposer que, pour que, afin que, de manière que, de façon que, etc.
2) Derrière un verbe d’opinion à la forme négative : Je ne pense pas que tu aies raison ; derrière un verbe de sentiment : J’apprécie que tu sois d’accord ; derrière un verbe de volonté : Je veux qu’il le fasse ; derrière le verbe douter : Je doute qu’il le fasse ; derrière le verbe attendre : J’attends qu’il revienne, etc.
La liste est loin d’être close...
L’art de construire l’imparfait du subjonctif
1) L’imparfait du subjonctif se construit sur le passé simple. Naturellement, pour employer l’imparfait du subjonctif, il est nécessaire de connaître le passé simple.
2) Puis vous choisissez la 2eme personne du singulier du verbe conjugué au passé simple
Chantas
courus
peignis
3) vous lui ajoutez le suffixe SE :
Chantas-SE = chantasse
courus-SE = courusse
peignis-SE = peignisse
et vous obtenez la 1ere personne du singulier du verbe conjugué à l’imparfait du subjonctif : je chantASSE
4) Il vous reste à le conjuguer à toutes les personnes. Enfantin ! N’oubliez pas qu’à la 2eme personne, il faut un S !
Je chantasse je courusse je peignisse
tu chantasseS tu courusseS tu peignisseS
5) A la 3eme personne, attention, les SS disparaissent. A l’oral, l’imparfait du subjonctif et le passé simple de l’indicatif se confondent, mais à l’oral seulement, car à l’écrit la graphie les sépare.
il chantÂT il courÛT il peignÎT : imparfait du subjonctif
il chantA il courUT il peignIT : passé simple de l’indicatif
Vous remarquez que l’ ^ fait toute la différence. ALORS, SURTOUT, NE L’OUBLIEZ PAS, lorsque vous graphiez le subjonctif imparfait. Pas d’ ^ pour le passé simple, mais un simple point sur le i !
6) La conjugaison devient délicieuse aux personnes du pluriel. Ecoutez ce que la langue française produit d’extravagant :
nous chantassions nous courussions nous peignissions
vous chantassiez vous courussiez vous peignissiez
ils chantassent ils courussent ils peignissent
"Et alors ?"
Vous me direz : c’est affreux à entendre.
Au moins, c’est français !
Vous me direz : ça ne sert à rien.
Je vous répondrai : la plupart des choses qui sont belles et qui font rêver ne servent à rien. Lisez, à cet égard, la préface de Mademoiselle de Maupin, de Théophile Gautier... "Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. (...) Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses. (...) A quoi sert la beauté des femmes ? (...) A quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? (...) Tout ce qui est utile est laid (...) L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines., etc."
Vous me direz : c’est dépassé.
Je vous répondrai : et alors, vous n’êtes pas obligés de suivre la mode !
Vous me direz : ça fait prétentieux.
Je vous répondrai : employez-le au moment opportun.
Vous me direz : ça fait ridicule.
Je vous répondrai : le ridicule ne tue pas.
Vous direz : j’ai peur de me tromper, en l’employant.
Je vous répondrai : apprenez vos conjugaisons !
Vous me direz : on n’a pas besoin de savoir ça pour avoir le bac.
Je vous répondrai : pensez aussi à être heureux, à être différent, à être drôle, à être original. Souvenez-vous : "L’important n’est pas de sortir de polytechnique, mais de sortir de l’ordinaire." Charles de Gaulle
Enfin, je vous répondrai que connaître et aimer sa langue n’a jamais nui à personne.
Et je vous propose même la lecture de ce poème loufoque, dont tout le comique tient à l’emploi de l’imparfait du subjonctif :
Ah ! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez
Qu’ingénument je vous le disse
Qu’avec orgueil vous vous tussiez.
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !
H. Gautier-Villars, Déclaration d’un grammairien à sa mie.
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