« Lors de la séance du 5 janvier 1980, dans le cadre de son Séminaire au Collège de France, Roland Barthes définit trois « grandes fonctions mythiques de l’Œuvre en tant que volume » :
« L’Ur-livre : l’Arché-Livre, le Livre-Origine, pour une religion, et partant pour une civilisation », le « Livre-Guide », et le « Livre-Clef. » C’est à cette idée de « L’Ur-Livre », du « Livre-Origine », et à la manière dont il continue peut-être, tel un spectre, de hanter le roman moderne, que nous proposons de consacrer ce colloque.
Livre et roman au XXe siècle entrent dans une tension paradoxale et féconde. Une certaine tradition critique, héritée de Mikhaïl Bakhtine, considère le roman comme un genre bas et populaire, le genre du renversement carnavalesque ou de la démystification, par opposition à la poésie, dont la parenté avec le verbe inspiré des livres saints a été souvent étudiée. Doublement éloigné du sacré des Ecritures et de l’aristocratie littéraire du genre poétique, le roman investit
pourtant la question du Livre inspiré et semble participer de la constitution de ce « Grand Objet Sacré » selon l’expression de Roland Barthes. Il s’agirait donc de se demander quels rapports
peuvent apparaître entre le Livre, parole révélée du Dieu unique, et la polyphonie, le dialogisme du roman moderne qui fait fond sur un paysage idéologique sécularisé.
Et de fait, si le nom de notre modernité est celui du « désenchantement », en quoi la question du Livre continue-t-elle de polariser l’imaginaire du roman ? Questionnement d’autant
plus intempestif que la modernité littéraire déconstruit les formes, désagrège, fragmente le texte.
Enfin, si le Livre vaut comme structure fantasmatique qui préexiste au roman et qui semble l’animer, le roman produit lui aussi une certaine représentation du Livre. Quel imaginaire du Livre
sacré le roman construit-il en retour ? »
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